Une aube pâle emplit le ciel triste ; le Rêve,
Comme un grand voile d'or, de la terre se lève.
Avec l'âme des roses d'hier,
Lentement montent dans les airs
Comme des ailes étendues,
Comme des pieds nus et très doux,
Qui se séparent de la terre,
Dans le grand silence à genoux.
L'âme chantante d'Ève expire,
Elle s'éteint dans la clarté ;
Elle retourne en un sourire
A l'univers qu'elle a chanté.
Elle redevient l'âme obscure
Qui rêve, la voix qui murmure,
Le frisson des choses, le souffle flottant
Sur les eaux et sur les plaines,
Parmi les roses, et dans l'haleine
Divine du printemps.
En de vagues accords où se mêlent
Des battements d'ailes,
Des sons d'étoiles,
Des chutes de fleurs,
En l'universelle rumeur
Elle se fond, doucement, et s'achève,
La chanson d'Ève.
Charles VAN LERBERGHE (1861-1907)
(Je ne propose surtout pas de musique, ce serait une offense à van Lerberghe que ne pas laisser ses mots chanter d'eux même.)
LASSITUDE
A batallas de amor campo de pluma.
(Góngora.)
De la douceur, de la douceur, de la douceur !
Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.
Même au fort du déduit parfois, vois-tu, l'amante
Doit avoir l'abandon paisible de la sœur.
Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.
Va, l'étreinte jalouse et le spasme obsesseur
Ne valent pas un long baiser, même qui mente !
Mais dans ton cher cœur d'or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l'olifant !...
Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse !
Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse !